Parmi les mythes persistants qui circulent chez les game designers en herbe, l’un des plus importants est “un jeu de plates-formes, c’est facile à faire“. Pourquoi ne pas y croire, après tout ? Le genre évite les soucis d’équilibrage inhérents aux RPG, et ne demande que des ressources infimes, non ? C’est ce que l’on pourrait penser quand on voit un Mario, tant tout semble simple d’accès. Mais voilà le piège : simple d’accès ne signifie pas simple à reproduire, et c’est ce qui conduit souvent les développeurs à se prendre les pieds dans le tapis. Ou, comme c’est le cas avec Skully, à se prendre les pieds dans tous les tapis qu’il y a sur le chemin. Définitivement, la simplicité du genre n’est rien d’autre qu’une illusion.
Crâne qui roule n’amasse pas mousse
Pourtant, tout commence bien, ou presque : la cinématique d’introduction, animée en fausse stop-motion comme toutes les autres, nous laisse entrevoir un univers intéressant, bien qu’handicapé par une direction artistique de mauvais goût à mi-chemin entre le réalisme et le cartoon : le Dieu de la Terre (enfin, c’est du moins comme cela que je l’ai interprété) vous rend vie et vous allez, en tant que crâne fidèle, le suivre dans sa quête consistant à restaurer l’équilibre dans le monde face à ses frères et sœurs, qui représentent les autres éléments. Ma première impression de Skully était en fait plutôt positive, et renvoyait l’image d’un jeu fait avec peu de moyens, mais dans lequel les développeurs de Finish Line Games (Maize, Cel Damage HD) auraient mis tout leur cœur. Ceci est appuyé par le doublage anglais, assez bon, ainsi que par une prise en main difficile mais à laquelle on finit par se faire.
En effet, le jeu vous fait incarner la plupart du temps une boule de terre dotée de vie et possède donc un gameplay “à la Monkey Ball“, dans lequel il va tout le temps falloir vous replacer et veiller à ne pas tomber. Cela ne serait pas si dérangeant si – littéralement – aucune plate-forme n’était plate (y compris celles à la surface de l’eau, un comble), ce qui vous force à constamment devoir utiliser le joystick pour ne pas finir à l’eau, synonyme d’une sanction immédiate matérialisée par la mort de votre personnage. Certes, vous pourrez aussi incarner des monstres de terre un peu plus stables et aptes, mais au prix de votre vitesse, précision des sauts, et trop souvent des deux. Dommage, car ces trois autres créatures à incarner constituaient l’idée forte du titre, celle qui lui aurait permis de se distinguer de la concurrence.
Rage against the gameplay
Imaginez-vous donc jouer à un jeu dans lequel vous n’êtes jamais à l’aise et sûr de vos déplacements, et vous aurez compris une bonne partie des problèmes de Skully. Ce côté presque die-and-retry passerait encore si vous ne recommenciez jamais très loin de votre chute, mais ce n’est pas le cas : c’est bien simple, les checkpoints semblent avoir été placés au petit bonheur la chance, toujours la marque d’un mauvais jeu de plates-formes. Une règle prévaut dans le genre : un point de contrôle doit être toujours positionné avant et après un passage très difficile, de manière à ne pas frustrer les joueurs. Hors, le titre de Finish Line Games ne comprend pas cela et nous force bien trop souvent à nous retaper des passages simples mais fastidieux : mourir bêtement après avoir réussi à enchaîner des sauts compliqués nous donne envie d’éteindre notre console pour ne plus jamais la rallumer, surtout que, contrairement à ce que l’on peut voir dans un Celeste, par exemple, nos décès ne semblent pas toujours justifiés.
Sauter d’une plate-forme à une autre sous la forme d’une boule instable et vulnérable n’est pas foncièrement un mal en soi, mais ça devient un problème quand la caméra nous complique la tâche, ce qui est souvent le cas dans Skully. Nonobstant le fait que recentrer celle-ci dans le feu de l’action est pour ainsi dire impossible – je ne peux pas me concentrer sur deux choses à la fois, elle vient beaucoup trop souvent se placer d’une manière trop peu pratique, voire se coincer contre un élément du décor, nous coupant donc toute visibilité : c’était pardonnable dans Super Mario 64, ça ne l’est plus en 2020. On doit donc recommencer certains passages des dizaines de fois et, lorsqu’enfin on finit par réussir, cela ressemble plus à de la chance qu’à autre chose. Et encore, tout ça, c’est dans l’hypothèse que le jeu tourne bien : en effet, on souffre lors de certaines séquences d’un framerate injustifiable qui vient jouer de manière non négligeable sur l’input lag et qui nous fait louper des sauts pourtant pas bien compliqués.
Une technique en phase avec le reste
Sans vouloir être méchant ou injuste, ni manquer de respect à toutes les personnes ayant travaillé dessus, Skully ressemble trop souvent plus à un projet de fin d’études qu’à un vrai jeu destiné à la commercialisation : comme c’était le cas pour Cooking Mama: Cookstar, certains assets semblent tous droits tirés de la bibliothèque par défaut d’Unity, le moteur utilisé, et les animations sommaires, voire inexistantes (je pense par exemple aux nénuphars sortant de l’eau) donnent au tout un certain goût d’inachevé, d’autant plus préjudiciable que cela a une incidence directe sur le gameplay. Qui plus est, en docké comme en portable, le jeu n’est tout simplement pas beau, avec des environnements et des textures que n’auraient pas renié le portage Switch d’Ark: Survival Evolved. Manette en main, le plaisir est pratiquement inexistant, et je n’ai avancé que pour tenter de finir le jeu et vous délivrer ce test.
Tenté, oui, car j’ai malheureusement fini par être victime d’un bug après une petite dizaine d’heures de jeu : après ma mort, celui-ci me faisait réapparaître dans un lieu dans lequel j’étais condamné à décéder en boucle. Étant donné que la sauvegarde automatique ne me permettait pas d’agir sur ceci, si ce n’est en perdant toute ma progression, j’ai laissé tomber. Dommage, car j’aurais sincèrement aimé voir la fin de l’histoire de Skully : allait-il, enfin, pouvoir reprendre sa forme initiale ? Je ne le saurais sans doute jamais, tant son aventure ressemblait à un de ses platformers sous licence qui pullulaient au début des années 2000 : vide, sans intérêt, avec une musique générique au possible et un gameplay qui ressemblait presque à une parodie du genre. Dommage, il y avait du potentiel.
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Trop ambitieux pour son propre bien
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Trop ambitieux pour son propre bien
Avec un peu de soin, avec des développeurs qui auraient compris les codes du jeu de plates-formes, Skully aurait pu être un très sympathique représentant du genre : s’il nous renvoie l’impression initiale d’un jeu “fauché mais fait avec le cœur“, celui-ci n’est finalement rien de mieux qu’un espèce de projet de fin d’études, qui loupe quasiment tout ce qu’il entreprend. La caméra est mal foutue, la direction artistique est hideuse, les graphismes pas beaucoup mieux, la framerate est inconstant et les check-points placés n’importe comment : tout est à revoir, d’autant plus inacceptable que l’on vous demandera 34,99€ pour vous y essayer.
Les +
- Doublage très correct
- Histoire intéressante
- Quelques bonnes idées
- Interface plutôt jolie et discrète
Les -
- Caméra d’un autre temps
- Direction artistique hideuse
- Trop difficile
- Injuste
- Check-points placés sans aucune logique
- Framerate instable
- Monkey Ball mais sans le fun