Source de fascination comme de crainte, le vampire est une des figures les plus populaires de l’imaginaire humain. Entre le Comte Dracula de Bram Stoker et les kyuketsuki japonais, ces démons buveurs de sang et immortels hantent encore aujourd’hui les arts à travers des romans, des bande-dessinées et des long-métrages. Aussi, il n’était pas étonnant de les voir rapidement prendre d’assaut notre médium favori qu’est le jeu vidéo : Castlevania nous proposait d’affronter Dracula en personne dans une redoutable partie de chasse pour ne citer que l’exemple le plus célèbre. Mais que se passerait-il si nous inversions la situation et que le joueur contrôlait une de ces damnées créatures ? C’est probablement ce questionnement qui amena les Français de DontNod Entertainment à développer le jeu du jour : Vampyr. Récemment arrivé sur Switch grâce aux efforts du studio Saber Interactive, ce titre paru en 2018 permet désormais aux amateurs d’œuvres fantastiques d’incarner un de ces monstres nocturnes dans une aventure où votre moralité sera mise à rude épreuve.
Sang merci
Londres, 1918. La Première Guerre Mondiale touche à sa fin mais le destin semble avide de sang puisque c’est à ce moment précis que frappa une des épidémies (ou ici une pandémie) les plus meurtrières de l’histoire de l’humanité : la grippe espagnole. Alors que de plus en plus de malades affluent dans les hôpitaux et rejoignent les soldats revenus du front, nous suivons le Docteur Jonathan Reid de retour dans son pays après avoir servi l’armée britannique en France. Comme si retrouver sa patrie défigurée par une maladie mortelle ne suffisait pas, notre héros fait une bien mauvaise rencontre quand il croise le chemin d’un vampire et se transforme lui aussi en une de ces créatures de la nuit avant de perdre connaissance. Affolé et rendu à moitié fou par sa soif de sang aussi soudaine que brutale, le Dr Reid perd tout contrôle et tue sauvagement sa propre sœur pour se repaître de son sang.
A peine a-t-il le temps de se rendre compte de ses actes que la pauvre jeune femme s’effondre à terre et rend son dernier soupir. Mais Jonathan n’a pas le temps de culpabiliser : des membres d’une célèbre guilde de chasseurs de vampires repèrent notre héros et partent à sa poursuite. Parvenant à leur échapper, le Dr Reid, aidé de quelques alliés, entend bien utiliser les pouvoirs apportés par sa nouvelle condition pour mettre la main sur son agresseur et faire la lumière sur les raisons de sa transformation.
Pince-sang-rire
Pour comprendre comment il en est arrivé là, le joueur entame une visite de différents quartiers sensibles de Londres dans lesquels il fera la connaissance de plusieurs dizaines de PNJ tentant tous de survivre à l’épidémie. Chacune de ses âmes, en apparence superflue, aura son importance dans la quête de notre héros en raison du solide réseau qu’elles constituent entre elles et surtout des informations qu’elles seraient susceptibles de lui transmettre. Discuter avec les habitants sera nécessaire pour orienter vos recherches et avancer dans l’histoire de Vampyr. La carte du jeu est divisée en plusieurs quartiers de Londres à explorer, chacun porté par une communauté et soutenu par un personnage bien précis qualifié de “pilier central”. De ce pilier dépend la sûreté globale du quartier qui sombrera dans le chaos ou au contraire se stabilisera en fonction de vos actions.
Dans Vampyr, l’importance des dialogues est particulièrement grande puisque chaque détail de la vie d’une personne pourrait être aussi bien une clé pour avancer dans votre quête qu’un moyen pour vous de devenir plus fort. De manière générale, j’ai lu l’intégralité des dialogues avec plaisir grâce à la qualité de leur écriture. La personnalité des personnages, principaux comme secondaires, transparaît de manière claire et forte, faisant de chacun d’eux un être vivant à part entière. Le jeu de DontNod Entertainment parvient ainsi à créer une ambiance singulière en mêlant réalité historique et éléments fantastiques et force est de constater que l’ensemble fonctionne admirablement bien. Au passage, saluons la bande-sonore du titre qui est un véritable plaisir !
Sang foi ni loi
Souvenez-vous, je vous avertissais plus haut que votre morale allait être mise à rude épreuve lors de votre voyage. Pourquoi ? Tout simplement car vous aurez la possibilité de mordre chacun de ces personnages capitaux pour vous abreuver de leur sang et récupérer un énorme paquet de points d’expérience en quelques secondes. Mais aurez-vous le cran d’emprunter cette voie sombre et sanglante ?
Une des forces de Vampyr réside dans cette confrontation permanente entre votre désir de devenir plus fort et votre empathie : plus vous en apprenez sur un personnage, plus vous vous attacherez à lui (DontNod ayant pris soin d’écrire une histoire convaincante pour chacun d’entre eux) et plus son sang sera riche. Le joueur peut en effet vérifier l’expérience que lui rapportera une victime potentielle grâce aux sens vampiriques de Jonathan : le monde prend alors une teinte monochrome où seul le sang des personnages aux alentours sera visible ce qui vous permet notamment de repérer quelqu’un à travers un mur. Et dans ce contexte épidémique, une autre donnée vous est apportée par cette ésotérique capacité d’analyse : l’état de santé des PNJ, et c’est là qu’intervient un des aspects les plus pervers de Vampyr. Un individu malade aura un sang de moins bonne qualité mais en tant que médecin, vous êtes tout à fait à même de trouver les différents composants d’un traitement et de le donner à ce personnage pour le soigner… et ainsi maximiser le nombre de points d’expérience qu’il vous rapportera si vous le mordez.
Comprenez-vous maintenant ? Vampyr vous donne en soi la possibilité cruelle et monstrueusement tentante de prendre soin de quelqu’un pour le tuer au moment opportun, à condition que votre niveau de Charme soit suffisamment élevé pour inciter votre victime à vous suivre dans un recoin sombre et à l’abri des regards. Bien sûr, je ne parle qu’en terme de possibilités car le jeu vous autorise à ne mordre personne pour toute la durée de l’aventure et à laisser ces malheureux londoniens en paix. Mais pourrez-vous résister à la tentation ? Car fondamentalement, qui se souciera d’un homme au cœur de pierre ou d’une femme capable de dénoncer une honnête infirmière par pure cruauté ? D’un autre côté, de quel droit pourriez-vous rendre justice vous-même et décider qui mérite de vivre ? Vampyr règne ainsi avec une certaine élégance sur l’espace, ici terriblement floue, qui sépare le bien du mal, la raison de la folie, ce bas-monde de l’autre monde.
Que ce soit en laissant libre cours à vos instincts les plus vils ou participant simplement aux combats et aux quêtes du jeu, vous finirez par accumuler des points d’expérience qui vous seront indispensables pour renforcer votre héros aux dents pointues. Grâce à un vaste arbre de compétences, il est en effet possible de débloquer plusieurs capacités bien particulières qui vous faciliteront la vie lors des multiples combats auxquels vous devrez prendre part lors de votre promenade dans les quartiers mal famés de Londres. Outre les puissants pouvoirs offensifs et défensifs qui devraient vous permettre de corriger vos adversaires les plus déchaînés, vous pourrez également augmenter votre niveau de santé, votre endurance ainsi que l’efficacité de votre morsure. Cette dernière est une mécanique indispensable à votre progression puisque chacune de vos attaques magiques réduira votre jauge de sang : quand celle-ci sera proche de la fin, il sera sage de mordre un de vos opposants pour la remplir et repartir à l’assaut.
A noter que le sang est également utilisable pour vous soigner à tout instant grâce à la compétence bien-nommé qu’est l’Autophagie. Si les composantes RPG de Vampyr sont plutôt ingénieuses et sympathiques à employer, j’ai regretté que l’IA des ennemis ne soit pas un peu plus travaillée : les patterns de vos adversaires ne sont que très peu diversifiés et leurs réactions sont parfois étrangement calibrées. Les affrontements sont néanmoins dynamiques et vos pouvoirs suffisamment variés pour ne pas ressentir une quelconque lassitude. Un sentiment d’autant plus éloigné que vous aurez parfois la possibilité de sauver un citoyen des griffes d’un de vos congénères ce qui amène un peu de sel à vos marches dans les rues effrayantes de la capitale. La lassitude provient en revanche de la répétition du schéma au cours de l’aventure : aller au hub central, aller dans le quartier d’intérêt, utiliser ses pouvoirs de vampire, retourner à l’hôpital. On se sent rapidement agacé par la multiplication des aller-retours qui sont néanmoins rendus plus agréables par la narration du titre qui parvient à captiver le joueur suffisamment pour atténuer la frustration.
Une technique sang le sous
Comme toujours quand un jeu est porté sur Switch, on en vient fatalement à la question de sa performance technique. Et malheureusement, Vampyr ne fait pas partie des bons élèves de la classe de la console hybride. J’irais même plus loin en affirmant que l’optimisation du titre est littéralement inexistante : outre des textures baveuses, des modèles 3D parfois effrayants (surtout en ce qui concerne la dentition) et une résolution bien basse, Vampyr souffre d’un framerate terriblement instable qui subit de nombreuses chutes rien qu’en faisant bouger la caméra.
Pire encore, des micro chargements très intrusifs s’inviteront dans votre partie à partir du moment où vous oserez vous mettre à courir : dix secondes de course et voilà que l’action se fige pour permettre au jeu de charger l’environnement. Et ces latences débarquent parfois avant de parler un PNJ, ce qui casse quelque peu le rythme du jeu et surtout agace terriblement. En clair, Vampyr n’est pas à faire sur Switch pour en profiter dans les meilleures conditions. Et ceci est d’autant plus dommage quand on voit l’esthétique globale du titre qui est pourtant très réussie.
Vampyr, Nintendo Switch (langue française)
Bien mais sang plus
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Bien mais sang plus
Globalement, le constat est positif. Vampyr comporte de très bons éléments notamment dans sa narration et les thèmes qu’il aborde et l’histoire aurait pu être portée sans problème malgré un gameplay parfois légèrement plat. L’exploitation des capacités surnaturelles de notre héros est cependant trop minime en dehors des affrontements pour maintenir le joueur motivé suffisamment longtemps et on ne peut pas dire que la technique très à la marge du jeu arrange les choses. En soi, Vampyr est une excellente oeuvre littéraire grâce à la force du dilemme qu’il impose de manière perverse au joueur dans chacun de ses actes, mais il aurait été agréable d’avoir un gameplay tout aussi captivant.
Pros
- Une ambiance excellente
- Des personnages bien écrits
- La liberté dans la progression
- Une bande-son raffinée
Cons
- Vite lassant
- Des combats un peu brouillon
- La technique complètement à la rue