Il n’est pas rare que des créateurs de jeux s’inspirent ouvertement de l’univers graphique d’autres grands artistes. Little Nightmares a, par exemple, puisé une partie de sa patte graphique dans l’esthétique si spéciale de Tim Burton, pour un résultat fascinant et toujours aussi efficace huit ans après la sortie du premier épisode. Récemment, un mélange plus étonnant a vu le jour avec Bye Sweet Carole, première production du studio Little Sewing Machine. En deux mots ? Un jeu narratif horrifique avec une direction artistique en hommage aux productions Disney. Horreur et Disney, mésalliance ou union pleine de sens ? Examinons ceci de plus près dans notre test.
Lana au Pays des Horreurs
Si j’ai parlé de Disney dès l’introduction de ce test, il n’empêche que le début de Bye Sweet Carole m’a davantage fait penser aux dessins animés japonais des années 90 à l’image de Princesse Sarah. L’aventure commence au sein du pensionnat de Bunny Hall, archétype des écoles pour jeunes filles anglaises avec tout ce que cela implique. Nous suivons la jeune Lana Benton, véritable mouton noir au milieu des autres demoiselles qui la harcèlent avec zèle et des enseignantes pétries de conceptions sur l’image de la femme idéale. Lana s’acclimate difficilement dans cet environnement, particulièrement depuis la disparition mystérieuse de Carole Simmons, une autre pensionnaire de Bunny Hall. La demoiselle ayant été sa seule véritable amie dans cet enfer typiquement anglais, Lana se met en devoir de faire la lumière sur sa disparition. Le gameplay va donc principalement s’articuler sur une exploration en 2D et la recherche et l’utilisation d’objets, dans la pure tradition d’un Point and Click.
Bon, dit comme ça, on ne voit pas vraiment la dimension horrifique là-dedans mais c’est justement là que ça devient intéressant. Bunny Hall n’est pas un lieu ordinaire et bien vite, des présences terrifiantes se mettent à hanter les lieux et à traquer Lana, victime de visions macabres et poursuivies par des créatures bien décidées à lui faire la peau. Qu’on se le dise : Bye Sweet Carole n’est pas un jeu d’horreur à proprement parler. Il possède des éléments et une ambiance horrifiques, certes, mais je ne recommanderais pas le jeu à quelqu’un qui chercherait avant tout à se faire peur. Oui, les couloirs de Bunny Hall sont sinistres à souhait, quelques jumpscares bien placés vous prendront totalement au dépourvu et quelques passages s’inspirent ouvertement de la terrifiante scène en forêt de Blanche-Neige, mais de là à qualifier Bye Sweet Carole de jeu d’horreur, il y a un pas que je ne franchirai pas.
Cela dit, cet état de fait n’ôte en rien à l’ambiance extraordinaire du jeu. Outre cette esthétique Disney qui se marie à merveille avec l’atmosphère ténébreuse de Bunny Hall, un excellent travail a été fait sur la bande-son : entre des musiques bien glauques et un sound-design particulièrement bien ficelé, on se retrouve malgré nous dans un état de vigilance constante. La discrétion est de mise car Lana sera régulièrement poursuivie par des stalkers dans les différents niveaux et ces derniers ont l’ouïe fine : des objets fragiles sont traitreusement disséminés un peu partout et courir à proximité de ces derniers vous exposent au risque de les casser et donc, d’attirer l’attention de vos poursuivants. En bref, la dimension horrifique de Bye Sweet Carole est présente sans être extrême.
Un intéressant mélange de gameplay
En tant que jeu narratif, Bye Sweet Carole met évidemment son histoire au centre de tout : c’est bien la quête de vérité à propos de Carole Simmons et des terrifiants évènements de Bunny Hall qui guident vos pas. Néanmoins, le jeu propose un gameplay plus développé que beaucoup de ses comparses avec un mélange de plateforme et de Point and Click pas déplaisant du tout. Lana pourra notamment compter sur quelques compétences comme la possibilité de se transformer en lapin pour courir plus vite et sauter plus loin, amenant une légère dimension de parkour dans votre exploration. De même, vous trouverez régulièrement des objets qui seront indispensables à votre progression : une clé, un outil, une substance quelconque, toutes sortes de choses que vous serez amenés à utiliser à tel ou tel moment pour avancer ou résoudre une énigme. Parfois, il faudra compter sur votre imagination pour comprendre le lien entre un objet et le problème qui vous est posé mais la difficulté reste tout à fait accessible.
Le seul petit reproche que j’adresserai au gameplay de Bye Sweet Carole sera probablement à propos des phases de plateformes. Le jeu souffre de quelques imprécisions sur ce point avec des sauts difficiles à calculer et des wall-jumps qui ont tendance à s’activer sans qu’on ne le veuille. Pas de quoi vous frustrer ou jeter votre manette par la fenêtre mais mon plaisir de jeu a été parfois entaché par ces éléments indépendants de ma volonté.
Une technique insultante pour une telle direction artistique
Attention, ce qui va suivre est bien salé, mais on dit que ça fait du bien d’extérioriser. J’aimerais bien comprendre comment Bye Sweet Carole a pu sortir en l’état sur Switch. Parlons peu, parlons bugs dans un premier temps : j’ai été amené à redémarrer ma partie trois fois, sur les trois ou quatre heures qui m’ont été nécessaires pour finir le jeu, et ce, pour des motifs variés. Temps de chargement infini, écran noir sans explication, crash du jeu etc : Bye Sweet Carole a encore besoin de polissage pour prétendre être une expérience agréable sur Switch. On pourrait pardonner plus facilement ce type d’écueil dans un jeu plus long ou au gameplay plus complexe mais quand il s’agit d’une courte expérience narrative qui mise sur ses visuels et sa musique pour créer de l’émotion, j’ai du mal à comprendre que les développeurs ne soient pas d’autant plus vigilants à ce sujet.
De même, je vais me montrer sévère sur la technique de cette version Switch. Je le redis : la direction artistique de Bye Sweet Carole est somptueuse et exploite à merveille la vibe Disney pour son histoire car elle apporte une touche personnelle évidente qui la distingue clairement de ses inspirations. Mais dans ce cas, pourquoi sortir une version Switch aussi grossière ? Pour sa mise en scène, le jeu va beaucoup utiliser des effets de zoom pour attirer l’attention du joueur sur tel ou tel aspect, ce qui en soi, est un procédé plutôt chouette. Sauf sur Switch. Chaque rapprochement sera en fait l’occasion de voir des détails pixellisés au possible qui détruisent toute la saveur artistique de ce jeu. D’accord, la console de Nintendo du nom n’a pas un matériel très solide et demande davantage de travail qu’ailleurs. Mais d’une part, de nombreux développeurs indépendants parviennent à fournir des versions Switch tout à fait clean et d’autres parts, les développeurs devraient renoncer à sortir une version Switch si elle se fait au prix d’une direction artistique saccagée. C’est ma hot take personnelle mais qui est aussi le résultat de dizaines de tests réalisés sur des versions Switch au rabais. En attendant un éventuel patch, comme ce fut le cas pour Shinobi: Art of Vengeance, je refuse de recommander la version Switch pour découvrir ce petit bijou d’art et de créativité.
Conclusion - Un conte somptueux gâché par un portage au rabais
Difficile de recommander à quiconque de découvrir Bye Sweet Carole sur Switch. La technique de cette version ne rend en aucun cas justice à la somptueuse direction artistique du jeu. Sincèrement, en attendant un patch, je vous conseille de vous tourner vers une autre plateforme pour découvrir cette petite perle qui mélange si bien horreur, Disney et Point and Click. En parcourant les couloirs de Bunny Hall, on est assailli par toutes sortes d’émotions sur ce conte qui vous réserve de nombreuses surprises dans sa narration : une très belle expérience narrative sur le passage à l’âge adulte et le deuil avec un soupçon de féminisme austinien comme on l’aime.
- Une direction artistique excellente
- Une bande-son de qualité
- Une diversité de gameplay bienvenue
- Une atmosphère ténébreuse et merveilleuse à la fois
- Une histoire surprenante
- Une technique qui gâche les aspects artistiques du jeu
- Pas mal de bugs
- Quelques imprécisions côté plateformes